vendredi 19 juillet 2013

" La Faisabilité politique de l'ajustement " par Christian Morrisson © OCDE 1996





En cas d’ajustement, les organisations internationales demandent une réduction des premières dépenses, ce qui amoindrit le soutien au gouvernement. Celui-ci peut compenser cette baisse de popularité par la répression en cas de troubles, mais elle entraîne de nombreux coûts (dépendance accrue à l'égard de l’armée ou réactions négatives à l’étranger).


Chaque gouvernement est donc pris, en cas d’ajustement, entre des pressions contradictoirescontraintes financières et répression, d’une part, et inconvénients de la répression, d’autre part. ( ... )



Les politiques de stabilisation économique et d'ajustement peuvent provoquer des troubles sociaux, voire mettre en péril la stabilité des pays. Dans ce Cahier de politique économique sont analysées les conséquences politiques de tels programmes. ( ... )

Alesina et Perotti (1994) en ont fait le bilan : d’après ces travaux, il est clair que l’instabilité politique a un impact négatif sur la croissance. On peut donc penser que, toutes choses égales par
ailleurs, les programmes d’ajustement suivis de violence freinent plus la croissance que les autres programmes d’ajustement. ( ... )



Même si un gouvernement poursuit divers objectifs comme la croissance ou le prestige international, il reste qu’habituellement son premier objectif est de rester au pouvoir, la probabilité d’y rester dépendant à la fois du soutien politique de la population et de la répression. ( ... )


En cas d’ajustement, les organisations internationales demandent une réduction des premières dépenses, ce qui amoindrit le soutien au gouvernement. Celui-ci peut compenser cette baisse de popularité par la répression en cas de troubles, mais elle entraîne de nombreux coûts (dépendance accrue à l'égard de l’armée ou réactions négatives à l’étranger). Chaque gouvernement est donc pris, en cas d’ajustement, entre des pressions contradictoirescontraintes financières et répression, d’une part, et inconvénients de la répression, d’autre part. ( ... )



lorsque le gouvernement annonce un programme et en trace les grandes lignes, la plupart des personnes concernées ne sont pas capables d’avoir une idée claire des conséquences de ce programme pour elles, ou pensent qu’il touche surtout les autres. ( ... )


Les cinq études par pays du Centre de Développement confirment l’intérêt politique de certaines mesures de stabilisation : une politique monétaire restrictive, des coupures brutales de l’investissement public ou une réduction des dépenses de fonctionnement ne font prendre aucun risque à un gouvernement. Cela ne signifie pas que ces mesures n’ont pas des conséquences économiques ou sociales négatives : la chute des investissements publics ralentit la croissance pour les années à venir et met sur-le-champ des milliers d’ouvriers du bâtiment au chômage, sans allocation. Mais nous raisonnons ici en fonction d’un seul critère : minimiser les risques de troubles. ( ... )


Les coupures dans les budgets d’investissement ne suscitent habituellement aucune réaction, même lorsqu’elles sont très sévères : -40 pour cent au Maroc en trois ans, -40 pour cent en Côte d’Ivoire en deux ans, -66 pour cent au Venezuela de 1982 à 1985, et -60 pour cent aux Philippines en deux ans. Certes, au Maroc, des partis d’opposition ont critiqué cette mesure en faisant remarquer qu’elle empêchait la création d’emplois et compromettait à terme la croissance. Dans la réalité, les entreprises du bâtiment souffrent beaucoup de telles coupures qui multiplient les faillites et les licenciements. Mais ce secteur, composé surtout de petites et moyennes entreprises, n’a quasiment aucun poids politique. ( ... )


Un gouvernement peut difficilement stabiliser contre la volonté de l’opinion publique dans son ensemble. Il doit se ménager le soutien d’une partie de l’opinion, au besoin en pénalisant davantage certains groupes. En ce sens, un programme qui toucherait de façon égale tous les groupes (c’est-à-dire qui serait neutre du point de vue social) serait plus difficile à appliquer qu’un programme discriminatoire, faisant supporter l’ajustement à certains groupes et épargnant les autres pour qu’ils soutiennent le gouvernement. ( ... )


De l’autre, si le gouvernement, par crainte de l’opposition, attend la crise financière pour ajuster, il aura beaucoup moins de marge de manoeuvre, en cas de crise politique. A la limite, il ne peut plus faire, en principe, de concession dès lors qu’il a pris des engagements envers le FMI pour bénéficier de son concours. D’ailleurs, une telle décision peut rendre service à un gouvernement
car celui-ci peut ensuite répondre aux opposants que l’accord réalisé avec le FMI s’impose à lui, qu’il le veuille ou non. ( ... )


D’autres groupes d’intérêt, dans les professions libérales par exemple, peuvent aussi freiner l’ajustement. Cette recommandation a donc une valeur générale : un gouvernement qui veut accroître ses marges de manoeuvre et rendre plus flexible une société, aurait intérêt à affaiblir d’abord tous les corporatismes qui constituent par nature des obstacles aux mesures d’ajustement. Il est clair, cependant, que seul un gouvernement élu démocratiquement a la légitimité nécessaire pour mener une telle action. ( ... )


Il faut dès l’arrivée au pouvoir insister, voire en exagérant, sur la gravité des déséquilibres, souligner les responsabilités des prédécesseurs et le rôle des facteurs exogènes défavorables, au lieu de tenir un discours optimiste et de reporter l’heure de vérité. En revanche, dès que le programme de stabilisation a été appliqué, le gouvernement peut tenir un discours plus optimiste pour rétablir la confiance (un facteur positif pour la reprise), tout en s’imputant le mérite des premiers bénéfices de l’ajustement. Il est souhaitable, par ailleurs, que le gouvernement suscite rapidement une coalition d’intérêts qui fasse contrepoids à l’opposition. C’est le complément indispensable à sa stratégie de communication et le seul moyen de s’assurer un soutien durable. L’ajustement apporte des gains aux agriculteurs, aux chefs d’entreprise et aux travailleurs des industries exportatrices. Un volet social bien défini peut bénéficier à certains ménages pauvres en ville. Par ailleurs, si l’on réduit les salaires des fonctionnaires, des secteurs stratégiques (l’armée ou la police, par exemple) peuvent être exemptés. ( ... )


Les grèves ne remettent pas en question le régime, comme c’est le cas lorsque les manifestations tournent à l’émeute et débordent les forces de l’ordre. C’est ce qui explique d’ailleurs l’absence de relation statistique entre grève et répression. Le gouvernement peut toujours y mettre fin en faisant des concessions. Toutefois, les grèves comportent un inconvénient sérieux, celui de favoriser les manifestations. Par définition les grévistes ont le temps de manifester. Surtout, les enseignants du secondaire et du supérieur, en faisant grève, libèrent une masse incontrôlable de lycéens et d’étudiants pour les manifestations, un phénomène très dangereux, car dans ce cas la répression peut conduire facilement au drame. ( ... )


Le gouvernement a toutefois les moyens de faire appel au pragmatisme des fonctionnaires. Il peut, par exemple, expliquer que, le FMI imposant une baisse de 20 pour cent de la masse salariale, le seul choix possible est de licencier ou de réduire les salaires et qu’il préfère la seconde solution dans l’intérêt de tous. Les expériences de plusieurs gouvernements africains montrent que ce discours peut être entendu. ( ... )


ou bien l'on peut supprimer des primes dans certaines administrations, en suivant une politique discriminatoire pour éviter un front commun de tous les fonctionnaires. Évidemment, il est déconseillé de supprimer les primes versées aux forces de l’ordre dans une conjoncture politique difficile où l’on peut en avoir besoin. Comme on le voit, pourvu qu’il fasse des concessions stratégiques, un gouvernement peut, en procédant de manière graduelle et par mesures sectorielles (et non globales), réduire les charges salariales de manière considérable. L’essentiel est d’éviter un mouvement de grève générale dans le secteur public qui remettrait en question un objectif essentiel du programme de stabilisation : la réduction du déficit budgétaire. ( ... )


Après cette description des mesures risquées, on peut, à l’inverse, recommander de nombreuses mesures qui ne créent aucune difficulté politique. Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des investissements publics ou une diminution des dépenses de fonctionnement ne comportent pas de risque politique. Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. ( ... )


L’autre mesure de stabilisation qui peut être recommandée est une politique monétaire restrictive. Comme celle-ci frappe de manière uniforme tous les revenus et qu’elle a des effets négatifs à la fois différés et indirects (les salariés licenciés par une entreprise en faillite ne manifestent pas contre la Banque centrale), elle comporte peu de risque politique. ( ... )


Mais, pour réussir, il doit dans ce cas accorder la plus grande attention aux détails et adopter une optique désagrégée. Rien n’est plus dangereux politiquement que de prendre des mesures globales pour résoudre un problème macro-économique. Par exemple, si l’on réduit les salaires des fonctionnaires, il faut les baisser dans tel secteur, les bloquer en valeur nominale dans un autre, et même les augmenter dans un secteur clé politiquement. Si l’on diminue les subventions, il faut couper celles pour tels produits, mais maintenir en totalité celles pour d’autres produits. Le souci du détail ne connaît pas de limite : si les ménages pauvres consomment seulement du sucre en poudre, on peut augmenter le prix du sucre en morceaux pourvu que l’on garde la subvention au sucre en poudre. ( ... )


Il est permis toutefois de nuancer cette estimation des risques : par rapport aux pays développés, les gouvernements des pays en développement ont plus de facilités pour intervenir. Par exemple, il leur est plus facile de faire dissoudre des piquets de grève ou de remplacer les grévistes par d’autres salariés. ( ... )


Pour qu’un gouvernement ait la marge de manoeuvre nécessaire pour ajuster, il doit être soutenu par un ou deux grands partis majoritaires et non par une coalition de petits partis, ce qui conduit à préférer le scrutin uninominal au scrutin proportionnel pour l’élection du parlement (ou pour le moins à conseiller une combinaison des deux modes de scrutin). D’autres moyens permettent de renforcer l’exécutif, comme la possibilité de pouvoirs spéciaux temporaires ou un contrôle ex post par le pouvoir judiciaire, afin d’éviter que des juges puissent bloquer ex ante l’application du programme. ( ... )


Comme on le voit, les acteurs étrangers sont aussi concernés que les gouvernements par la nécessité de prendre en compte les contraintes politiques de l’ajustement, car ils ne peuvent être indifférents, ni à l’échec des programmes, ni à leur application au prix d’une répression inhumaine.







http://www.oecd.org/fr/dev/1919068.pdf










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