mardi 30 avril 2013

" Théorie et pratique des droits de l'homme " par Thomas Paine ( 1793 )





Si nous examinons, avec attention, la constitution de l’homme, la diversité des besoins & des talens des individus si bien appropriés aux besoins des autres, sa tendance vers la société, & par conséquent à conserver les avantages qui en résultent : on voit aisément que ce qu’on nomme gouvernement est un véritable mensonge







Le gouvernement n’est nécessaire que dans certains cas, où la société & la civilisation ne sont pas suffisantes ; & il est évident que tous les actes que le gouvernement s’attribue, sont l’effet d’un consentement tacite de la société , & non la conséquence du gouvernement.

Deux années se sont écoulées au commencement de la guerre d’amérique, & un plus long espace de temps dans quelques-uns des états, avant qu’il y eût une forme établie de gouvernement. La forme ancienne avoit été abolie, & les habitans étaient trop occupés de leur sûreté pour donner leur attention à une forme nouvelle ; &, pendant cet intervalle, l’ordre & l’harmonie régnèrent dans les états-unis aussi bien que dans aucune des contrées de l’europe C’est un besoin naturel à l’homme, & sur-tout lorsqu’il est en société, parce qu’il augmente les moyens de s’habituer à toutes les circonstances. Du moment où le mode du gouvernement est aboli, l’état de société commence ; une association générale le remplace, & l’intérêt commun fait la sécurité générale.

Il n’est pas vrai, quoiqu’on ait osé le prétendre que l’abolition d’une forme de gouvernement entraîne la dissolution de la société ; au contraire , la société devient plus intime. Toute la Partie de l’organisation sociale qui étoit dépositaire du gouvernement, se développe sur la masse , & n’agit qu’au travers de cet ensemble. Les hommes, par instinct & par le calcul de leur bonheur, se sont habitués à la vie sociale. Ces motifs sont devenus suffisans pour les porter à tous les changemens qu’ils trouveront nécessaires & convenables dans leur gouvernement. En un mot, l’homme est un être sociable, & il est impossible de l’isoler. ( ... )

L'état le plus parfait de civilisation est celui où le besoin du gouvernement se fait le moins sentir, & où chacun peut régler ses propres affaires & se gou­verner soi-même. Mais ce principe est si contraire à la pratique des anciens gouvernemens, que leurs dépenses augmentent dans la proportion où ils devroient les diminuer. L'état civilisé exige un très-petit nombre de loix générales, & d'un usage si habituel & si nécessaire, que leur effet seroit absolument le même quand elles ne seroient pas ap­puyées par la forme du gouvernement. ( ... )

Dans les âges anciens où les hommes étoient occupés isolément du soin de leurs troupeaux, il ne fut point difficile à des bandes de brigands de bouleverser une contrée & de la mettre à contribution. Leur pouvoir établi, le chef quitta le nom de voleur pour celui de monarque, de là l’origine des monarchies & des rois. ( ... )

On est accoutumé à distinguer l'état de l'homme en deux classes, en état civilisé & non civilisé. À l'un est attribué le bonheur & l'abondance, à l'autre la fatigue & le besoin. Mais quoique notre imagi­nation soit frappée par la peinture & la comparai­son, il est néanmoins vrai, qu'une grande partie du genre humain & de ce qu'on appelle nations civili­sées, est dans un état de pauvreté & de misère beau­coup au-dessous de la condition de l'indien. ( ... )

Lorsqu’on voit dans des pays que l’on dit être civilisés, les vieillards réduits à aller dans la mai­son de travail, & les jeunes gens conduits au gibet, il faut qu’il y ait un vice dans le système du gouvernement. En apparence , le bonheur règne dans ces contrées ; il existe, hors de la portée de l’observateur superficiel, une masse d’infortune qui n’a guères d’autre terme qu’une mort accompagnée de l’indigence ou de l’ignominie. Tout y présage le sort qui attend le pauvre, dès son entrée dans la vie ; & jusqu’à ce qu’on ait remédié à l’horrible concours de circonstances qui le poussent au crime, c’est en vain qu’on multiplie les châtimens. ( ... )

Quant à la dette nationale, quelque lourd que l’intérêt de cette dette puisse sembler à la nation, à raison des taxes qu’il nécessite, comme il sert à maintenir dans la circulation un capital utile au commerce, il balance en grande partie par ses ef­fets ce qu’il a d’accablant; ( ... )


Il s’ensuit que, pour opérer un soulagement réel, il faut commencer par abolir tout-à-fait la taxe des pauvres, & y substituer en faveur des indigens, une remise double du produit actuel de cette taxe, c’est-à-dire, quatre millions sterling à prélever sur l’excédent dont j’ai parlé. ( ... )



Il est certain que si l’on pourvoit à la subsis­tance des enfans, les parens se trouveroient soulagés, parce que leur pauvreté naît, en grande par­tie, de la dépense où les jette l’entretien de leurs enfans.
Après avoir ainsi statué le plus grand nombre d’individus, que l’on puisse supposer avoir besoin de secours à raison du bas âge de la plupart, je vais m’occuper du mode de soulagement ou dis­tribution. Il consiste :
À payer, en remise d’impôt, à chaque pauvre famille, sur l’excédent du produit des taxes, & pour tenir lieu de celle des pauvres, quatre liv. sterling par an, pour chaque enfant au-dessous de quatorze ans. On auroit soin d’enjoindre aux parens de les envoyer à l’école, apprendre à lire, à écrire, & à compter ; les ministres de chaque paroisse, dissidens & autres, seraient tenus de certifier, con­jointement à un bureau, créé dans cette vue, que ce devoir seroit rempli. ( ...)

En adoptant cette méthode, non-seulement on soulagera la misère des parens, mais on préser­vera la génération naissante des inconvéniens de l’ignorance, & le nombre des pauvres diminuera par la suite, parce que l’éducation les rendra pro­pres à plus de choses. Plusieurs jeunes gens, à qui la nature a donné de bonnes dispositions, & à qui l’ont fait faire l’apprentissage d’un métier, tel que celui de charpentier, de menuisier, de tailleur de pierres, de constructeur de vaisseaux, de serrurier, &, se trouve arrêté pour le reste de sa vie, faute d’avoir reçu un peu d’éducation, dans son enfance. 

Je viens maintenant aux vieillards. Je partage en deux classes, le dernier période de la vie. 1°. Les approches de la vieillesse que je fais commencer à cinquante ans. 2°. La vieil­lesse elle-même qui commence à soixante.
À cinquante ans , les facultés intellectuelles de l’homme sont en pleine vigueur ; son jugement est plus rassis qu’il n’a encore été ; mais les forces corporelles, que nécessite une vie laborieuse, sont sur leur déclin. Il ne peut résister aux mêmes fatigues que dans un âge moins avancé. Il commence à gagner moins ; il est moins en état de supporter les changcmens de température, & dans un tra­vail sédentaire où il faut de bons yeux, il sent sa vue foiblir par degrés, & s’apperçoit que bientôt elle ne lui sera plus d’aucun secours.
À soixante ans, l’impérieuse nécessité l’oblige de renoncer au travail. Le cœur saigne lorsqu’on voit, dans les pays qui passent pour civilisés, des vieillards hâter la fin de leur existence par un travail forcé, pour gagner leur subsistance journalière. ( ... )

Ce secours, comme nous l’avons déjà remarqué n’est point une charité, mais un droit. Toute per­sonne en angleterre, quelque soit son sexe, paye en impositions deux livres sterlings, huit schellings ; & six pences par an, depuis le jour de sa naissance , & si l’on y ajoute les frais de collecte, elle paye deux livres sterhngs onze schellings & six pences ; conséquemment à cinquante ans accomplis chacun a payé cent vingt-huit livres quinze schellings ; & à soixante ans, cent cinquante-quatre liv., dix schellings. En convertissant cette taxe individuelle en tontine, la somme qu’il recevra après cinquante ans n’est guère plus que l’intérêt légal de celle qu’il a payée ; le surplus est suppléé par la taxe de ceux qui, par leur aisance, n’ont pas besoin d’un pareil secours, & le capital dans les deux cas défraie le gouvernement de cette dépense. C’est sur ce fondement que j’ai porté au tiers le nombre des personnes âgées qui pourront réclamer ce secours. Lequel vaut mieux de rendre la vie douce à cent quarante mille vieillards, ou de donner un million par an à un seul individu, méchant ou sans nul mérite ? ( ... )

Par l’exécution de ce plan, les loix sur les pauvres, ces instrument de torture civile, deviendront nulles, & les frais énormes de justice seront évités. Les cœurs ne seront plus déchirés par le spectacle affreux d’enfans couverts de lambeaux & consumés par la faim, & de vieillards implorant leur subsistance. Le pauvre mourant ne sera plus traîné de place en place, pour rendre son dernier soupir, ne sera plus repoussé de paroisse en paroisse. Les veuves auront un refuge à la mort de leurs maris, & les enfans ne seront plus regardés comme un ac­croissement de misère de leurs parens. Les retraites des malheureux seront connues, parce qu’elles seront à leur avantage, & le nombre des infractions, suite du malheur & du besoin, sera diminué. Le pauvre, comme le riche, sera intéressé à soutenir le gouvernement, & la cause ainsi que la crainte des émeutes & des séditions, cesseront. Ô vous, qui êtes dans l’aisance, & qui vivez dans l’abondance & les délices, & qui vous vantez de vos richesses, ayez-vous jamais pensé aux maux de vos semblables ? Ah ! Si vous jettiez sur eux vos regards, vous ces­seriez de parler & de sentir pour vous seuls. ( ... )

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