samedi 1 juillet 2017

" Il n’y a pas de communisme en Russie " par Emma Goldman (1934)

En Russie, ni la terre, ni la production, ni la distribution ne sont socialisées. Tout est nationalisé et appartient au gouvernement, exactement comme la Poste aux États-Unis ou les chemins de fer en Allemagne ou dans d’autres pays européens. Il n’y a rien de communiste là-dedans.


De manière générale, le communisme est l’idéal d’égalité et de fraternité humaine. Il considère l’exploitation de l’humain par l’humain comme la source de tout esclavage et de toute oppression. Il maintient que l’inégalité économique mène à l’injustice sociale et est l’ennemie du progrès moral et intellectuel. Le communisme vise à créer une société sans classes, résultant de la mise en commun des moyens de production et de distribution. Il enseigne que ce n’est que dans une société solidaire et sans classes que l’humain peut jouir de la liberté, de la paix et du bien-être.
Mon objectif, ici, était de comparer l’idée de communisme avec sa mise en application dans la Russie soviétique, mais à y regarder de plus près il s’agit d’une tâche impossible. En réalité, il n’y a pas de communisme en URSS. Là-bas, pas un seul principe communiste, pas un seul élément de ses enseignements n’est appliqué par le Parti communiste. (...)
Une nation est une entité trop abstraite pour « posséder » quoi que ce soit. Que la propriété soit possédée par un individu ou par un groupe d’individus, elle repose dans tous les cas sur une réalité quantitativement définissable. Lorsqu’un bien n’appartient ni à un individu ni à un groupe, il est soit nationalisé soit socialisé. S’il est nationalisé, il appartient à l’État ; en clair, le gouvernement en a le contrôle et peut en disposer selon ses désirs et ses intentions. Mais si un bien est socialisé, chaque individu y a librement accès et peut l’utiliser sans l’ingérence de qui que ce soit.
En Russie, ni la terre, ni la production, ni la distribution ne sont socialisées. Tout est nationalisé et appartient au gouvernement, exactement comme la Poste aux États-Unis ou les chemins de fer en Allemagne ou dans d’autres pays européens. Il n’y a rien de communiste là-dedans.
Le reste de la structure économique de l’URSS n’est pas plus communiste que la terre ou les moyens de production. Toutes les sources d’existence sont la propriété du gouvernement central ; celui-ci a le monopole absolu du commerce extérieur ; les imprimeries appartiennent à l’État, tous les livres, toutes les feuilles de papier imprimé sont des publications du gouvernement. Pour résumer, le pays entier et tout ce qu’il contient sont la propriété de l’État, comme quand aux temps anciens tout était propriété de la Couronne impériale de Russie. Les quelques biens qui ne sont pas nationalisés, comme certaines vieilles maisons délabrées à Moscou, par exemple, ou de petits magasins miteux disposant d’un misérable stock de cosmétiques, sont uniquement tolérés, à tout moment ils peuvent être saisis par simple décret du gouvernement.
Une telle situation relève du capitalisme d’État, il serait grotesque d’y déceler quoi que ce soit de communiste. (...)
La « raison d’État » est responsable de cela. Depuis des temps immémoriaux, cette expression a servi à masquer la tyrannie, l’exploitation et la détermination de tout dirigeant à prolonger et perpétuer sa loi. Accessoirement, je signale que malgré la famine qui a affecté tout le pays et le manque des ressources les plus élémentaires pour vivre en Russie, le premier plan quinquennal visait uniquement à développer l’industrie lourde, industrie qui sert ou peut servir à des objectifs militaires.
Il en est de même pour la distribution et toutes les autres formes d’activité. Toutes les parties constitutives de l’Union soviétique sont privées d’existence indépendante, pas uniquement les villes et les villages. Politiquement, elles sont tout simplement subordonnées à Moscou, leurs activités économiques, sociales et culturelles sont conçues, planifiées et sévèrement contrôlées par la « dictature du prolétariat » à Moscou. Pire encore : la vie de chaque localité, et même de chaque individu, dans les prétendues républiques « socialistes » est gérée dans les moindres détails par la « ligne générale » fixée par le « centre ». En d’autres termes, par le Comité central et le Politburo, tous deux sous le contrôle total d’un seul homme, Staline.
 Donner le nom de « communisme » à une telle dictature, cette autocratie plus puissante et plus absolue encore que celle de n’importe quel tsar, c’est atteindre le sommet de l’imbécillité. (...)
Loin de s’adoucir, la dictature devient chaque jour plus implacable. Le dernier décret contre les prétendus contre-révolutionnaires, ou les traîtres à l’État soviétique, devrait convaincre même certains des apologistes les plus ardents des miracles accomplis en Russie. (...)
Ce qui rend ce nouveau décret encore plus terrifiant, c’est la cruelle punition qu’il exige pour tout individu vivant avec la victime malchanceuse ou qui lui apporte de l’aide, que le « complice » soit au courant du délit ou en ignore l’existence. Il peut être emprisonné, exilé, ou même fusillé. Il peut perdre ses droits civiques, et être dépossédé de tout ce qu’il a. En d’autres termes, ce nouveau décret institutionnalise une prime pour tous les informateurs qui, afin de sauver leur propre peau, collaboreront avec la Guépéou pour se faire bien voir et dénonceront aux hommes de main de l’État les malheureux proches de coupables.
Ce nouveau décret devrait définitivement balayer tout doute subsistant encore à propos de l’existence d’un véritable communisme en Russie. Il s’écarte même du prétexte de l’internationalisme et des intérêts du prolétariat. Le vieil hymne internationaliste s’est maintenant transformé en un chant païen à la gloire de la patrie que la presse soviétique servile encense bruyamment : « La défense de la patrie est la loi suprême de la vie, et celui qui élève la main contre elle, qui la trahit, doit être éliminé. »
Il est désormais indéniable que la Russie soviétique est politiquement un régime de despotisme absolu, et économiquement la forme la plus crasseuse du capitalisme d’État.


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